Une fusée longue à décoller
Difficile d'être en phase avec son époque. Lorsque Cibson tenta de se refaire une image moderne à1a fin des années 1950, elle aboutit au projet de la Flying v. Dérouté par le conc un peu avant-gardiste, le public bouda le modèle qui mit quelques années à se mettre en orb'
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ufil de cette décennie ô combien révolutionnaire que furent les fifties, Gibson traînait une réputation de compagnie vieillotte, juste bonne à satisfaire les requêtes très peu rock'n'roll des musiciens de jazz, contents de se montrer avec une belle arch-top pansue et parée d'un bon sunburst des familles. De la tradition, du savoir-faire, du cousu main. C'était bien pour s'attacher la fidélité des vieux clients, pas assez pour séduire les nouvelles générations, avides de couleurs, de clinquant et éventuellement d'inutile. . . Fender faisait un carton avec ses modèles solid-body, Stratocaster et Telecaster, Gretsch se plaçait à merveille sur un marché milieu de gamme de modèles croulants sous les paillettes et les gadgets. Gibson avait bien tenté avec un certain succès de rattraper le train en marche en proposant la Les Paul, mais le nouveau défi nécessitait un changement de cap radical, une mise en phase avec ce public de teenagers portés par la vague rock. Nous étions alors en 1955, et Fender, avec sa Stratocaster vieille d'un an, avait ringardisé l'ensemble de la concurrence avec ce modèle futuriste au succès indéniable. La réaction s'imposait, et il ne fallut pas moins de deux années au staff de Gibson pour finaliser le concept de la Flying V, destiné
à rattraper ce « déficit d'image », comme ne disaient pas encore
les spécialistes du marketing.
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DES PROTOTYPES AUDACIEUX
Gibson mit ses têtes chercheuses au travail, mais phéno
mène inédit, elle décida également de chercher à l'extérieur des esprits créatifs susceptibles de renouveler la façon de penser des designers de la compagnie. On leur demanda de coucher leurs délires sur le papier. Des nombreux projets, certains furent sélectionnés et présentés à Larry Hallers et John Huis, qui dirigeaient les équipes de fabrication,
pour évaluer lesquels pourraient éventuellement être construits sur une grande échelle. Le brain-storming accoucha d'un concept audacieux de solid-bodies aux lignes très futuristes aussitôt baptisées Modernistic Guitars, et il comprenait trois modèles: la Moderne (qui ne serait
2) La Flylng V l'al' Iqulpée des fameux micros PAF, comme les Les Paul.
finalement pas produite en série), l'Explorer, et la Flying V. Ce dern concept étant plus ou moins le bébé de Ted McCarty, président la compagnie, qui s'en explique dans une interview avec A.R. Duch soir: « Au départ, c'était plus ou moins une plaisanterie. Nous avons construit une qui avait un dos rond, en relief, mais elle était lourde que j'ai dit: il faut aplatir tout ça, nous n'avons pas besoin tout ce volume. Nous avons donc coupé et le résultat avait /'ap rence d'une flèche. Quelqu'un dans l'usine, je ne me souviens pl .
qui, a dit: "On dirait un Flying Vee !" (un V volant). Le nom est resté. Cette guitare, si elle était retrouvée aujourd'hui, serait probableme la proie de tous les collectionneurs, mais il faut se méfier de l'authe ticité de tous ces essais et prototypes qui furent créés avant q la production générale ne débute. En effet, Gibson a produit d instruments que l'on peut qualifier de prototypes, dans la mesu où ils étaient encore des copies de travail. Certains de ces instr ments, très proches du résultat final, étaient kidnappés par d employés, ou envoyés à des représentants Gibson ~ur test leur pouvoir de séduction auprès du public. On trouve aujour d'hui certains de ces prototypes sur le marché vintage. Il sont très rares, et la maison Elderly en propose un authen tifié par McCarty à son catalogue courant (photo 1 ). Mai il faut également être conscient du fait que des espri mal intentionnés ont su profiter de cette période d'exp rimentation et des modèles uniques qu'elle a suscï tés pour mettre sur le marché des instruments fraudu leux. Beaucoup ont été signalés, certains, comm ", I~ « Thunderbolt » que mentionne Duchossoir dan ~ son ouvrage « Gibson Electrics. The Classic Years », sont peut-être authentiques. Mais la méfiance est de mise! Toujours est-il qu'en 1957 divers prototypes de la Flying V furent exposés en divers endroits. La plupa de ces protos (une douzaine selon McCarty), étaient très proches de la Flying V de série, mais certains étaient construits non pas en Korina mais en acajou.
1) Le premier prototype de la Flying V fut authentifié en 1957.
LA FL YING V POUR CONCURRENCER SPOUTNIK ?
Les premières Flying V de série sortirent ~nc des usines en 1957. L'époque était à l'optimisme, les Trente Glorie6ses s'épanouissaient dans une débauche de consommation en tout genre. L'avenir ne pouvait qu'être radieux. Les Russes venaient de mettre le premier Spoutnik en orbite, et Gibson profita de l'événement pour axer sa campagne: « Les Russes ont lancé leur satellite, peut-être pour le grand embarras des États-Unis, mais les gens de Gibson ont aussi mis au point une première: la guitare futuristique "Flying V". Au niveau structurel, la Flying V était composée d'un corps en korina composé de deux ailes symétriques collées selon l'axe de la guitare. Le Korina était une essence africaine que Gibson avait commencé à importer en 1952, en l'utilisant tout d'abord sur des steel. C'était un bois plus clair que l'acajou, plus rare également, que
3) Toutes les parties mécaniques étaient en plaqué Ot; et le logo de la Flying sortait en re/ief.
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; Malgré une présentation en fanfare au NAMM d'été de la même année, Aying V fut un flop total. Elle éveilla bien la curiosité des dealers et des nts potentiels, mais Gibson avait changé d'angle de façon un peu trop icale, et le concept effraya la clientèle plutôt qu'il ne la convainquît. La ,production de flying V d'origine est restée confidentielle: 81 exemplai!f8S construits en 1958 et 17 en 1959. Le prix était alors de 322 dollars. iToutefois, quelques corps en korina (une vingtaine) étant resté non utili[ésà l'usine en 1959, Gibson décida alors de sortir une nouvelle fournée !\de Flying V en 1963, malgré l'insuccès notoire du premier épisode. Ces ')nstruments se distinguaient de la mouture précédente du fait du plaquage )nickel de leurs pièces métalliques (et non plus or) des micros non-PAF, i;etdu revêtement jaune de la caisse. En dehors de ces détails, ils sont en 'tous points similaires aux quelques exemplaires d'origine.
les gens de Gibson aimaient travailler: de gros arbres, peu de pertes, et un look unique à l'époque. La touche était en palissandre, pourvue de repères pastille. Au niveau électronique, la guitare était équipée de deux humbuckers avec la mythique étiquette « Patent Applied For » (le fameux PAF qui fit également la gloire des Les Paul Standard, photo 2). La plaque blanche, qui suivait le profil de l'aile inférieure, était équipée de trois boutons de réglage: deux volumes et un tonalité, ainsi que d'un switch trois positions. Les cordes s'ancraient au dos de la guitare au travers d'un cordier métallique également en forme de v. Toutes les parties métalliques de la guitare étaient plaq~lées or, et le logo Gibson était plaqué en relief, sur la tête (photo 3). La guitare était présentée dans une caisse pyramide brune avec un intérieur rose du plus bel effet (photo 4).
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10 ANS APRÈS, ENFIN LE SUCCÈS
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À peine dix ans plus tard, en 1966, grâce au poids de la légende, et grâce à quelques artistes qui commençaient à la populariser (Albert King, Lonnie Mack), la Flying V fut remise une première fois au catalogue. Cette fois-ci le succès fut au rendez-vous, et l'instrument commençait alors sa vraie carrière commerciale.
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4) La gratte à Austin Powers ? Non, non, la Flying V était présentée de série dans son étui pyramide serti d'un joli tissu rose. Super kitsch !